Abigale referma son petit carnet dans un claquement satisfait. Juste à temps; le train venait de s'immobiliser devant le quai de la gare de Ionu, le dernière arrêt sur le trajet du train. Elle s'était retrouvée toute seule dans son wagon, tous les autres passager étant descendus aux gares précédentes. Tant mieux. Ces temps-ci, Abby préfère largement la solitude à la compagnie de ses semblables.

C'était d'ailleurs l'une des raisons qui l'avait poussée à sauter sur cette petite annonce, dans le journal qu'elle avait "emprunté" à ses anciens maîtres : "Recherche gouvernante pour entretien d'un manoir roumain. Le plus vite sera le mieux." Ces quelques lignes auraient pu paraître sèches, voir légèrement inquiétantes, pour toute personne sensée. Mais Abigale y avait décelé la promesse d'un avenir plus glorieux, plus confortable qu'était le sien; car depuis la mort de son père, un humble cordonnier, elle ne vivait plus: elle se contentait de survivre. Rebondissant de boulots de plus en plus difficiles et de maîtres de plus en plus cruels et ingrats, frisant même le dangereux, Abigale avait senti qu'elle ne tarderait pas à toucher le fond si elle n'agissait pas immédiatement. Malheureusement, à son époque, c'était le quotidien des jeunes filles de sa situation de se faire exploitée, maltraitée... Et pire encore.

Sachant cela, on pouvait donc plus ou moins comprendre pourquoi une modeste paysanne Anglaise comme elle s'était retrouvée ici, dans cet endroit paumé au sein des campagnes Moldaves. Car Abigale était, sous ses dehors un peu fades et banales, une créature de pure volonté, et pour preuve : ni l'épuisement, ni sa maigreur quasi-maladive ne l'avait empêchée de traverser la moitié de l'Europe grâce aux maigres économies héritées de son père et de ses heures de travail supplémentaires.

Abigale descendit sa petite valise du porte bagage, y rangea soigneusement son carnet noir et sortit de la locomotive. Le quai n'était guère plus qu'une bute de terre grossièrement façonné,